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Text
��POUR LE DOCTORAT.
L’acte public sur les matières ci-après sera soutenu,
le mercredi 26 mars 1851, à une heure et demie,
Par Marie-Alphonse-Gharles CONDAMINAS, né à la Nouaille
(Dordogne).
Président : M. PELLAT, Professeur.
MM. COLMET-DAAGE,
I
1
4 Professeurs.
DE VALROGER,
. , •
VUATRIN,
J
x
Suppléants.
Le Candidat répondra en
outre aux questions qui) , lui
seront faites
DURANTON,
sur les autres matières de l’enseignement.
PARIS,
YINCH05, FILS ET SUCCESSEUR DE Mme Ve BALLARD,
Imprimeur de la Faculté de Droit,
RUE J.-J.-ROUSSEAU , 8.
1851
��DROIT FRANÇAIS
DE LA PORTION DE BIENS DISPONIBLE
EN GÉNÉRAL.
(Cod. civ., art. 915-916).
§ I. — Historique.
Il n’y a pas d’État, il n’y a que des tribus flottantes et sans nom
tant qu’une population, d’abord nomade, ne s’est pas attachée irrévoca
blement au sol envahi. Alors seulement une nation est constituée, et
l’organisation du corps social commence. Mais, de ce moment aussi, et
par une suite naturelle, la terre, possédée et cultivée en commun par la
famille, devient une partie de son existence. Si la société politique et
civile a son territoire, la société domestique a son patrimoine, qu’elle ne
doit jamais perdre entièrement, et que la loi, à défaut des volontés par
ticulières, prendra soin de lui conserver.—Sous un point de vue plus
général encore, on peut dire avec vérité que les soins dus à un père ou
aux aïeux qui nous en tiennent lieu, l’éducation et l’entretien des en
fants sont, pour la propriété, quelle qu’en soit la nature, une charge
sacrée qui survit nécessairement au propriétaire.
Tels sont les motifs qui font de la transmission régulière des biens
un objet du plus haut intérêt social. Aussi, la plupart des législateurs
ont cherché à la prémunir, par des sanctions positives, soit contre les
abus de l’autorité domestique, soit contre les écarts d’une libéralité dé
placée.
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A Rome, ces principes salutaires furent, pendant des siècles, dominés
par le respect exagéré de la souveraineté du père de famille, si énergi
quement reconnue dans la cinquième des Douze Tables décemvirales :
Uti legassit super pecunia tutelave suœ rei, ita jus esto. Le testament
était donc la loi suprême de la transmission des biens ; longtemps même,
il fallut, pour la perfection de cet acte solennel, l’intervention de la puis
sance législative (testament calatis comitiis). Quand les accroissements
de la cité eurent fait disparaître cet antique usage, le testament n’en
conserva pas moins ce caractère absolu appartenant à l’expression d’une
volonté inflexible et toute-puissante, devant laquelle devaient se taire
les droits les plus sacrés de la nature. Mais enfin les prudents sentirent
la nécessité d’assurer à la famille une portion des biens qui avaient été
possédés en commun pendant la vie du père, et dont les enfants pou
vaient être considérés, en quelque sorte, comme copropriétaires. Cette
idée fit d’abord naître, pour le père, l’obligation d’exhéréder, ou, si
l’on veut, d’exproprier ses enfants en termes formels, s’il ne voulait
laisser une cause de nullité dans un testament fait au profit d’étrangers.
Cela ne suffisant pas à sauvegarder les droits de la famille, l’usage
suivant quelques uns (Instit. pr. de inoffic.), suivant d’autres une cer
taine loi Glitia (Voët, ad Pandect.), permit aux enfants de diriger, sous
le nom de plainte, une action en rescision contre un testament inofficieux qui les aurait exhérédés injustement. Pour éviter ce nouveau dan
ger, le testateur dut laisser, à chacun des héritiers qui pouvaient élever
cette plainte, au moins le quart de la portion héréditaire qui lui serait
échue ab intestat.
Il importait peu, du reste, que cette quarte légitime fût recueillie à
titre d’héritier institué, de légataire ou de fidéi-commissaire (Instit.,
§ 6, eod.; Ulp. fr. 6 de inoff.). L’imputation des donations entre vifs
sur cette même quarte réservée souffrait plus de difficultés et exigeait
une déclaration formelle du donateur {Ulp. fr. 25 eod.). Mais, jusqu’à
Constantin, la légitime, laissée incomplète parle défunt, ne préservait
point le testament d’une rescision totale. Sous Constantin, il fut permis
de confier à un expert, d’une probité reconnue {boni viri arbitratu),
le soin de la compléter, en se mesurant sur la valeur des biens.
Justinien alla plus loin. Pour supprimer, comme il le dit au Code
(I. 30, de inoffic,), d’innombrables et fâcheuses occasions de renverser
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les dispositions faites par testament, et pour assurer l’exécution de la
volonté dernière des mourants, il décréta que l’action en supplément
de légitime remplacerait la plainte d’inofficiosité, action en rescision
du testament, toutes les fois que le testateur aurait laissé aux légiti
maires la portion même la plus minime de l’hérédité. La manière dont
cette portion leur arrive n’est pas indifférente. Suivant la loi 35, ibid.,
le fils qui, ayant reçu de son père des donations entre vifs ou à cause de
mort, ne trouve cependant qu’une légitime incomplète dans le testament
lui-même, ne perd pas son droit à la faire compléter, sans tenir compte
des donations, tant qu’il n’a pas expressément, et par une transaction
formelle, abdiqué ce droit entre les mains des héritiers institués. Donc,
en principe, et pour éviter les contestations, la légitime devait être
remplie au moins par des legs ou des fidéi-commis.
La Novelle 18, considérant que le quart des biens, assuré aux enfants
par les lois antérieures, se trouvait insuffisant quand la famille était
nombreuse; que les fils d’un père opulent se trouvaient ainsi réduits à
la gêne, après avoir joui de l’abondance durant sa vie, établit la légi
time sur de nouvelles bases. Elle en fixa la quotité au tiers de l’hércdité, ou quatre onces, si les enfants, et généralement tous ceux qui
avaient droit à l’ancienne quarte [antiquae quartœ}, ne dépassaient pas
le nombre de quatre; à la moitié,, ou six onces, s'ils étaient plus de
quatre. Cette portion réservée dans l’hérédité devait être partagée éga
lement entre tous ceux qui y avaient droit, soit qu’ils l’eussent reçue
à titre de legs, de fidéi-commis, ou en vertu d’une institution d’héri
tier Les six onces ou les huit onces qui restaient disponibles pouvaient
être données par le père ou à des étrangers ou aux enfants eux-mêmes.
La Novelle 115, chap. 5, ordonna d’une manière absolue que les en
fants fussent institués héritiers pour une portion quelconque, si le père
voulait éviter le danger de la rescision. Mais, dit Vinnius [Institut. ad
§6 de inoff'.), cette institution d’héritier n’avait, au fond, aucune réa
lité, et ne constituait qu’un titre purement honorifique; car, d’après
les principes généraux et d’après une constitution de Justinien luimême (L. 13, C. de liered. instit.], celui qui se trouve, en droit ou en
fait, institué héritier pour un objet déterminé, est considéré comme un
simple légataire, et reste étranger aux droits et aux actions qui peuvent
dépendre de l’hérédité.
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À travers toutes les phases et tous les changements que subit celte
partie du droit romain, un point reste invariable : c’est la détermina
tion des personnes qui peuvent attaquer le testament comme inoffi
cieux, qui peuvent plus tard réclamer la légitime. Ce droit appartint
toujours aux enfants, même simplement adoptifs (Instit., § 2 de inoff.),
aux ascendants et enfin aux frères et sœurs consanguins (V. L. 27, C. de
inoff.) ; mais, à ces derniers, dans un cas seulement : lorsque le testa
teur leur avait préféré pour héritiers turpes personas , des personnes
notées d’infamie.
Les frères sont nommés immédiatement après les ascendants ; mais
Tordre dans lequel les uns et les autres pourront respectivement exercer
leur droit n’est pas exempt de difficulté. L’ordre établi pour élever la
plainte d’inofficiosité, sorte de pétition d’hérédité, ou pour demander
la légitime, portion de l’hérédité, doit correspondre à l’ordre existant
dans la dévolution de l’hérédité même. Or, plusieurs textes du Code
(L. 4 de bonis quœliberis; 1. 2 ad Tertullianum ; 11 commun, de
suce.) placent les frères au second rang des héritiers ab intestat, après
les descendants et avant le père et les autres ascendants ; ce qui contre
dirait la constitution de Constantin, par laquelle les frères sont admis
les derniers à la plainte d’inofficiosité. Il est à croire, dit Vinnius (Instit.
ad§ 1, h. t.), que les constitutions impériales ont réglé l’exercice de
cette action sans se préoccuper de la perturbation qu’elles allaient jeter
par là dans les principes du droit ancien. Dans le droit des Pandectes,
le fils de famille ne pouvait tester que pour ses biens castrans; mais
ce testament n’était pas sujet à la plainte d’inofficiosité (L. 37, § 1,
C. h. t.). S’il était émancipé, l’ascendant émancipateur était préféré à
toute autre personne pour sa succession ab intestat, et par conséquent
aussi pour l’action en rescision de son testament. Mais la mère, admise
à la succession de ses enfants par le Sc. Tertullien, n’y pouvait venir
qu’après les frères consanguins. D’où il semblerait résulter que les frères
étaient préférables à la mère, mais se voyaient préférer le père aussi
bien pour la demande de la légitime que pour la plainte d’inofficiosité.
Enfin, dans le dernier état du droit, la Novelle 118 ayant admis les
frères à concourir dans la succession avec les père et mère du défunt,
les deux actions dont nous venons de parler doivent aussi leur appar
tenir concurremment avec les père et mère et autres ascendants. En ré
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sumé, et bien que Vinnius déclare ici ne vouloir rien décider, nihil
definio, on peut dire que la constitution de Constantin, n’ayant pas
expressément déterminé dans quel ordre les frères et les ascendants
pourraient exercer la plainte d’inofficiosité, nous devons nous en référer
sur ce point aux dispositions sur l’ordre de succéder, lesquelles ont varié
suivant les époques.
En terminant ce rapide aperçu de la partie de législation romaine
qui touche à notre sujet, essayons de fixer avec précision la nature de
l’action appelée querela inofficiosi testamenti, et de l’action en supplé
ment de légitime qui souvent la remplace.
La plainte d’inofficiosité est une sorte de pétition d’hérédité : elle
tend à faire tomber à la fois le testament et l’institution d’héritier, et
conséquemment ne peut être exercée que par celui qui se prétend seul
héritier. Mais elle a, de plus, un autre caractère : elle est fondée sur
une espèce d’injure que l’exhérédé se plaint d’avoir reçue, d’où il suit
qu’en règle générale elle ne passe pas aux héritiers, , pas plus que?
l’action d’injures. Ulpien et Paul [fr. 6 et 7 de
recherchent dans
quelles circonstances exceptionnelles elle pourra se transmettre, et ils,
reconnaissent, après Papinien, qu’il faut pour cela que le litige soit
commencé ou seulement préparé [per libelli dalibnem, pour les héri
tiers siens; per aditam hereditatem aut agnitam bonorum posscssionem, pour les autres : V. Cujas, ad l. 8, h. t.). Sa durée est limitée
à cinq ans.
L’action en supplément de légitime est personnelle et dure trente
ans : c’est une sorte de condiction ; elle passe aux héritiers. Avant la
Novelle 115, c’était la seule que le fils exhérédé pût exercer quand le
testament lui laissait, à un autre titre que celui d’héritier, une portion
quelconque de l’hérédité : il ne pouvait employer la pétition d’héré
dité, puisqu’il n’était pas institué, et que, d’autre part, il lui était in
terdit d’attaquer le testament. Depuis la Novelle, la nécessité de l’ins
tituer héritier dans tous les cas aura au moins un effet sérieux : elle
lui donnera une action de plus. Mais une disposition formelle était
indispensable à cet égard; car c’est une conséquence des principes les
plus élémentaires du droit romain, que s’il existe un testament non
sujet à rescision, il ne peut y avoir qu’un seul héritier, l’héritier insti
tué : donc, forcément et par la nature meme des choses , il était im
possible à l’enfant qui se contentaitde réclamer sa légitime, de prendre,
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en la demandant, la qualité d'héritier. Nous verrons s'il en estdemême
dans notre droit français (V. sur ce qui .précède Vinnius et M. Ducaurroy, §3 de inoff.)
Ledroit privé des Romains continua à régir, sous lenom de droit écrit,
une grande partie de la France, jusqu’au moment où notre législation
fut entièrement refondue, et où les constitutions politiques prirent nais
sance. Quant aux anciennes coutumes qui passèrent, à lamêmeépoque,
dans le domaine de l’histoire, les unes établissaient formellement une légi
time pour les enfants; d’autres s’en rapportaient, en cette matière, aux
principesdudroitécrit. Un très petit nombre avait pris soin d’en détermi
ner la quotité; mais la règle adoptée le plus généralement était celle delà
coutume de Paris, qui la fixait, par son article 298, « à la moitié de
« la part que chaque enfant aurait eue dans la succession de ses père
« et mère ou autres ascendants, s’ils n’eussent disposé par donation
« entre vifs ou de dernière volonté » [Bigot-Préameneu, Rapp. au cons.
d’État). Ainsi, et il importe de le remarquer, elle avait pour base, non
la masse de la succession, mais la portion héréditaire.
Il n’était accordé aucune légitime aux ascendants, soit que les cou
tumes eussent reconnu moins d’importance au principe de réciprocité
proclamé par le droit romain, soit que l’on craignît de restreindre
d’une manière exagérée le droit de disposition en présence des ré
serves coutumières, qui déjà rendaient inaliénables les quatre quints
des propres. Cependant on pourrait citer certaines coutumes peu ré
pandues, notamment celle de Saint-Sever, sous lesquelles il était admis
en jurisprudence que les ascendants d’une ligne avaient droit, dans la
succession de leurs petits-enfants, à une légitime composée de biens
provenant de l’autre ligne, lorsqu’ils concouraient avec des collatéraux
seulement [Journal du Palais, Répert. v° Légitime).
L’ordonnance du mois d’août 1735 avait dû trancher une ancienne
controverse sur la manière d’opérer pour régler la légitime des ascen
dants dans les pays de droit écrit. Son art. 61 s’exprime ainsi : « La
« quotité de la légitime sera réglée, eu égard au total clés biens, s’il y a
« un testament, et non sur le pied de la portion qui aurait appartenu
« aux ascendants s’ils eussent recueilli la succession ab intestat concur« remment avec les frères germains du défunt. » C’est le principe de
la Novelle 18, c’est encore celui du Code civil, en ce qui concerne la
réserve des ascendants, et nos modernes législateurs n’en pouvaient
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pas adopter d’autre, s’ils ne voulaient pas innover, car ils ne trouvaient
pas de traditions dans le droit coutumier.
Dans le droit intermédiaire, la loi du 17 nivôse an II fut la pre
mière qui s’occupa spécialement de la disposition des biens. Son esprit
était une égalité inflexible; son but, le morcellement de la propriété.
Aussi prohibe-t-elle tout avantage fait à l’un des cohéritiers. La por
tion de biens disponibles est réduite à un dixième, si le disposant a
des héritiers en ligne directe ; elle peut s’élever à un sixième s’il n’a
que des collatéraux. La loi du 4 germinal an VIII, moins absolue dans
ses prescriptions, voulut établir une proportion entre la quotité dispo
nible et le nombre des légitimaires. On ne pouvait disposer de plus du
quart, si on laissait moins de quatre enfants; de plus du cinquième, si
on en laissait quatre ; de plus du sixième, si on en laissait cinq ; et
ainsi de suite, en comptant toujours, pour déterminer la portion dis
ponible, le nombre des enfants plus un. La quotité disponible pouvait
être laissée à des héritiers aussi bien qu’à un étranger.
Cette loi trouva des partisans au sein du conseil d’État, chargé de la
rédaction première du Code civil. M. Tronchet surtout approuvait une
disposition qui ne permettait pas de traiter, par ses libéralités, un
étranger plus favorablement qu’aucun des enfants. Mais le pouvoir
du père demandait une plus grande liberté d’action, dans l’intérêt de
cette justice distributive qu'il exerce si utilement dans la famille.
M. Bigot-Préameneu, au nom de la section de législation, avait donc
proposé de fixer la légitime des enfants aux trois quarts, quel que fût
leur nombre, et celle des ascendants à la moitié. Au milieu de la dis
cussion qui s’engagea entre les défenseurs de l’intérêt des enfants, et
les partisans plus prononcés du pouvoir paternel et de la liberté de
disposer, le consul Cambacérès émit une proposition qui fut définiti
vement adoptée, et qui forme l’art. 913 actuel. Elle offrait l’avantage
de mettre quelque rapport entre l’étendue de la portion disponible et
le nombre des enfants réservataires, sans cependant jamais imposer
de trop fortes entraves à l’autorité du père et à la liberté du dis
posant.
La légitime des ascendants est demeurée ce qu’elle était dans le pro
jet primitif. Lors de la communication officieuse au Tribunat, la section
de législation, prévoyant le cas où le partage égal entre les collatéraux
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et les ascendants ne fournirait pas à ceux-ci leur réserve complète, fit
ajouter le paragraphe qui termine aujourd’hui l’art. 915. M. BigotPréameneu, en présentant le projet au Corps législatif, s’exprima
formellement sur l’intention delà loi à cet égard.
Dans la rédaction première du titre, une réserve était établie au
profit des frères et sœurs et de leurs descendants. Elle était du quart de
ce qu’ils auraient obtenu ab intestat ; et toutefois, comme leur intérêt
paraissait moins favorable que celui des parents de la ligne directe, elle
ne pouvait avoir lieu au préjudice des donataires. La section de légis
lation du Tribunat en fit rejeter le principe. Dans sa pensée, le vœu de
la nature et le respect dû aux ascendants exigeaient sans doute qu’ils
ne fussent jamais dépouillés entièrement de leurs droits; mais l’exis
tence des collatéraux, même de frères et sœurs, qui d’ailleurs avaient
déjà reçu leur part du patrimoine commun, n’était plus un motif suffi
sant pour gêner la liberté de disposer. Les liens de famille ne pou
vaient que devenir plus étroits si les frères avaient intérêt à se ména
ger les uns les autres.
Au reste, il fut toujours entendu que l’ordre des successions ne
serait pas interverti, même pour Fattribution de la réserve. La rédac
tion définitive disait, et M. Bigot-Préameneu répétait devant le Corps
législatif, que la distinction des deux lignes établie au titre des succes
sions serait maintenue ici, et que la réserve serait seulement d’un
quart pour chaque ligne d’ascendants. M. Jaubert, dans son rapport à
l’assemblée générale du Tribunat, s’exprimait en ces termes : « Il faut
« bien remarquer que le projet ne parle que des ascendants qui au« raient succédé dans l’ordre légitime. Si donc il s’agissait de l’aïeul,
« et qu’il y eût des frères et sœurs ou descendants d’eux, dans ce cas
« l’aïeul ne succédant pas dans l’ordre légitime, il n’y aurait pas non
« plus de réserve pour l’aïeul ; et dans ce cas encore tout serait dispo« nible. »
§ IL — Réserve
des enfants.
Nous aurons ici, de même que dans le paragraphe suivant, une
double question à examiner : I. Quelle est cette réserve. — IL A qui
est due cette réserve.
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L Quelle est cette réserve. — La Novelle 18 indiquait au père de
famille ce qu’il devait laisser à ses enfants ; non triuncium eis relinqui
solum, sed eliam tertiam propriœ substantiœ partem... Le Code civil
détermine ce qu’il peut donner à des étrangers. « Les libéralités, dit
« l’art. 913, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il
« ne laisse à son décès qu’un enfant légitime ; le tiers, s’il laisse deux
« enfants; le quart, s’il en laisse trois ou un plus grand nombre. » Des
deux parts, on a accepté le droit tel qu’il existait, et on lui a posé ses
limites. Nous l'avons dit : à Rome, le testament seul, dans l’origine,
faisait la loi de la transmission des biens; quand la volonté souveraine
du père de famille s’était manifestée dans les formes voulues, nul autre
que l’héritier institué par lui ne pouvait prétendre à l’hérédité. S’il
y avait un droit nouveau à créer, ce droit ne pouvait être accordé qu’à
la famille et non au testateur jouissant déjà d’une liberté et d’une
autorité absolues. Au contraire, dans la législation moderne, il existe
des héritiers du sang qui ont un droit inné, indélébile, sur la succes
sion de leur auteur. Les biens de la famille, s’ils ne sont plus, comme
autrefois, un dépôt inaliénable entre les mains de leur possesseur d’un
moment, n’en ont pas moins une destination certaine que la loi a fixée
d’avance, et qu’on ne peut changer sans sa permission. Mais la liberté
a aussi ses droits : ce sont les droits de la liberté que l’on consacre ici,
tout en les resserrant dans les bornes marquées par l’intérêt des enfants
et les devoirs de la paternité.
D’après l’art. 904, la quotité disponible est réduite de moitié pour
le mineur parvenu à l’âge de seize ans. Si donc le disposant n’a pas
atteint l’âge de vingt et un ans, ses libéralités ne pourront excéder le
quart de ses biens, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant légitime ; le
sixième, s’il laisse deux enfants; le huitième, s’il en laisse trois ou un
plus grand nombre.
IL J. qui est due la réserve. — Suivant la Novelle, la légitime
appartient aux mêmes personnes qui avaient droit à la quarte établie
par les anciennes lois, c’est-à-dire à celles qui pouvaient attaquer le tes
tament comme inofïicieux. Dans le nombre figurent tous les enfants ayant
droit de succéder au défunt : les enfants légitimes, quels que soient leur
sexe et leur degré de descendance, et soit qu’ils aient été émancipés ou
�lâ
conservés dans la famille et sous la puissance du testateur (/. 7, ff. de
Inoff. Testant.; I. 8, debon. Possess. contra T abul.); les enfants adop
tifs,—parmi ceux-ci les impubères adrogés ont une quarte ou légitime
spéciale en yertu de la Constitution d’Antonin-le-Pieux, et comme ils
n’avaient ni la quarte du droit ancien, ni la plainte d’inofficiosité, il
paraît difficile de les comprendre dans les termes de la Novelle [v. fr. 8,
§ 14, de Inoff.) ; les enfants légitimés [Nov. 89, cap. Il, § 5) ; les
posthumes siens ou externes [fr. 6, de Inoff.); et enfin, même les
enfants vulgo quœsiti, mais seulement quand il s'agit de la succession
de leur mère [fr. 29, § 1, eod.).
Les coutumes accordaient la légitime ou réserve aux enfants soit
légitimes, soit légitimés, soit adoptifs, mais la refusaient généralement
aux enfants naturels : car le principe de la coutume de Paris « bâtards
« ne succèdent » s'appliquait aussi bien à la succession de la mère
qu’à celle du père. Cependant, par exception, quelques coutumes,
notamment celle de Valenciennes, disaient « qu’en succession mater« nelle il n’y a nuis bâtards, tellement que les bâtards naturels
« tant seulement succèdent à leur mère, aussi bien qu’autres enfants
« procréés en légal mariage ». Il était naturel alors de les admettre à
la demande de légitime. Mais des exceptions ainsi formulées confir
ment la règle générale qui veut que le droit à la réserve, quand il
existe, soit un corollaire et une dérivation du droit héréditaire
(v. Merlin, Répert., v° Légitime).
Sous le Code civil, et aux termes de l’art. 913, la réserve est due
aux enfants légitimes que le disposant laisse à son décès. D’après
l’art. 914, on doit comprendre sous le nom d'enfants les descendants
à quelque degré qu’ils soient, mais en ne les comptant que pour l’enfant
qu’ils représentent, disons mieux, qu’ils remplacent dans la succes
sion. Il ne s’agit pas ici, en effet, comme l’a pensé M. Levasseur [Tr. de
la Port, disponib.), de la représentation légale définie et organisée
par les art. 739 et suivants. Si l’art. 914 avait employé le mot repré
senter dans ce sens rigoureux et juridique, il n’en résulterait pas,
comme le veut cet auteur, que les petits-enfants, arrivant à la succes
sion sans le secours de la représentation, parce qu’ils seraient issus
d’un fils unique prédécédé, renonçant ou indigne, compteraient pour
la fixation dé la réserve comme des enfants au premier degré ; ce qui
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déjà présenterait cette conséquence singulière, d’enfants ayant des
droits plus étendus que leur père. Mais il s’ensuivrait bien plutôt qu’ils
n’auraient, dans ce même cas, aucun droit à la réserve; car l’art. 914
parle exclusivement de descendants qui représentent un enfant dans la
succession : si ceux-là seulement sont comptés, les autres ne le seront
jamais.
Nous devons admettre à la réserve, aussi bien que les enfants légi
times proprement dits, ceux qui sont entrés dans la famille civile du
défunt par l’effet d’un mariage postérieur à leur naissance, ou par la
fiction de la loi ; c’est-à-dire les enfants légitimés et les enfants adop
tifs. A l’égard des premiers, l’art. 333 leur donne les mêmes droits
« que s’ils étaient nés en mariage, » ce qui exclut toute controverse.
Pour les autres, l’art. 350 parle seulement de droits sur la succession
de l’adoptant; mais l’esprit de la loi en cette matière, et le but de
l’adoption montrent assez que dans leurs rapports avec la personne et
les biens de l’adoptant il convient de les assimiler de tout point aux
enfants issus du mariage. M. Coin-Delisle (Comw. analyt. du tit. des
Don.) observe très justement que si l’on interprète d’une manière trop
absolue les mots de l’art. 350, on se jette dans le vague des distinc
tions arbitraires là où la loi n’a pas distingué. Prétendre que l’adopté
n’a de droit que sur la succession ab intestat de l’adoptant, c’est enlever
à l’adoption l’un de ses effets les plus importants, c’est en remettre le
sort à la discrétion d’une seule volonté, souvent capricieuse et incons
tante. Accordera-t-on à l’enfant adoptif le droit de faire réduire seu
lement les dispositions testamentaires, non les dispositions entre vifs?
Mais le mot succession n’a jamais signifié autre chose que : cette somme
ou cette partie de biens à laquelle on succède par la seule vocation de
la loi ; donc, comme le reconnaît l’art. 1014, les biens légués ne sont
plus dans la succession, et la distinction que l’on veut établir est con
damnée par le mot de l’art. 350. Enfin, prenant un troisième parti, si
l’on veut soustraire à l’action de l’adopté au moins les donations anté
rieures à l’adoption, sous prétexte qu’aucun acte ne peut avoir d’effet
rétroactif, on rabaisse au niveau d’un contrat ordinaire une institution
intimement lié à l’état civil des personnes. D’ailleurs, quel moment
choisir pour fixer la limite de temps entre les donations non réduc
tibles et celles qui seront soumises à la réduction ? Sera-ce la compa
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rution devant le juge de paix, le jugement du tribunal de première
instance, l’arrêt confirmatif de la cour d’appel, ou l’inscription sur les
les registres de l’état civil? Autant de questions que l’on ne saurait
résoudre sans réformer ou étendre les dispositions de la loi.
Restent les enfants naturels. Il serait difficile de trouver dans les
termes de l’art. 913 le fondement du droit de réserve qui leur est géné
ralement accordé : le seul mot enfants légitimes suffirait à les exclure
formellement. C’est ainsi que l’entendait M. Jaubert, orateur du Corps
Législatif, qui, dans son rapport, déjà cité, à l’assemblée générale du
Tribunat, disait, au sujet de l’art. 921 : « Il pourrait paraître superflu
« de décider par qui seulement la réduction pourra être demandée.
« Il résulte assez de la nature des choses qu’elle ne pourra l’être que
« par ceux au profit desquels la loi fait la réserve. Or, elle n’a fait de
« réserve que pour les enfants légitimes et les ascendants. Les enfants
« naturels ne pourraient-ils donc pas aussi réclamer la réduction des
« donations entre vifs? Jamais. La loi établit la réserve pour les enfants
« légitimes : qui de uno dicit, de altero negat. A la vérité, le titre des
« successions veut que le droit de l’enfant uaturel sur les biens de ses
« père et mère décédés soit d’une quote qui varie suivant la qualité
« des héritiers présomptifs ; mais ce droit ne se rapporte qu’à la suc« cession. Les enfants naturels ne peuvent donc l’exercer que sur la
« succession, telle quelle est. Or, les biens donnés ne sont pas dans
« la succession. » (Fenet, t. XII, Proc. verb. du Cod. civ.)
Toutefois, une jurisprudence aujourd’hui constante et une doctrine
à peu près unanime se sont prononcées pour le sentiment contraire ; et
une interprétation entourée de si nombreuses et si graves autorités doit
sans doute faire loi. Elle se fonde principalement sur deux arguments:
1° le droit de l’enfant naturel a pour type celui de l’enfant légitime;
il n’en diffère que pour l’étendue. Cela résulte des art. 756 et 757
(Grenier, Traité des don.). Il est vrai que l’art. 756 refuse aux enfants
naturels le titre d’héritiers ; mais c’est là un souvenir de l’ancienne
jurisprudence qui les traitait avec une rigueur excessive. Le. Code civil
a eu précisément pour but d’établir une sorte de moyen terme entre
cette jurisprudence et la législation intermédiaire qui les voyait avec
la même faveur que les enfants légitimes (tribunal civil d’Ar&ois :
jugem. du 6 juin 1826, confirmé par arrêt de Besançon, et subséquem
�15
ment par un arrêt de cassat. du 27 avril 1830) ; 2° l'art. 761 veut
expressément que le père ne puisse réduire le droit légal de son enfant
naturel à plus de moitié, en lui donnant même de son vivant; il veut
implicitement qu’il ne puisse opérer d’une manière directe ou indirecte
aucune réduction par testament (Toullier, Droit civ. franç., t. V).
D’où l’on doit conclure qu’il existe deux moyens de restreindre les
droits des enfants naturels, sans jamais les détruire : d’abord la décla
ration expresse faite dans les conditions de l’art. 761; ensuite les dispo
sitions entre vifs ou testamentaires au profit d’étrangers (M. Duranton,
t. VIII, n° 302).
C’est dans ce dernier cas seulement que la réserve de l’enfant na
turel serait réglée par l’art. 913, combiné avec l’art. 757. Comment
alors devrons-nous la calculer? Il résulte de l’art. 757, au moins d’a
près l’interprétation la plus naturelle, que pour parvenir à fixer la part
héréditaire d’un enfant naturel, il faut, pendant un instant, le sup
poser légitime. Il en sera de même pour la détermination de sa réserve.
Faisons donc cette supposition, et suivons la marche tracée par les
art. 757 et 758.
L’enfant naturel étant en concours avec des descendants légitimes,
par exemple deux enfants légitimes, sa réserve serait d’un quart s’il
était légitime ; d’après l’art. 757, elle ne sera que du tiers de ce quart,
ou un douzième. En présence d’ascendants, il aurait droit, s’il était
légitime, à une réserve de moitié, à l’exclusion de ces ascendants; il
n’aura que la moitié de cette moitié, ou un quart.
Mais la réserve des enfants légitimes serait injustement diminuée
au profit des donataires ou légataires, celle des ascendants serait sup
primée contre le vœu de la loi, si nous persistons jusqu’à la fin à con
sidérer l’enfant naturel comme légitime à l’égard de toutes les per
sonnes qui doivent' figurer avec lui dans la répartition des biens du
défunt. Il faut donc abandonner cette supposition dès qu’elle a rempli
son objet, qui est de nous faire connaître quelle fraction de la masse
des biens devra être attribuée à l’enfant naturel ; et comme un droit
nouveau qui s’élève doit restreindre simultanément les droits de tous
les concurrents, nous opérerons sur ce qui reste, après le prélèvement
de la réserve de l’enfant naturel, comme nous aurions opéré sur la
masse entière, pour fixer respectivement la quotité disponible et la
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réserve des parents légitimes (Grenier; Marcadé, sous l’art. 916, n° 1).
Il est évident, en effet, que la somme totale étant diminuée, les parties
dans lesquelles elle doit se diviser le seront suivant la meme proportion.
Si le défunt a laissé des frères et sœurs, la réserve de l’enfant na
turel sera de moitié de la moitié, ou du quart ; elle sera des trois
quarts de la moitié, ou trois huitièmes, si le défunt ne laisse ni ascen
dants ni descendants, ni frères ni sœurs (art. 757 et 913 combinés).
Enfin, si les père et mère ne laissent pas de parents au degré succes
sible, l’enfant naturel a droit à la même réserve qu’un enfant légitime,
c’est-à-dire à la moitié (art. 758).
Dans ces diverses hypothèses, nous n’avons pas distingué si la quotité
disponible se trouvait dépassée par l’effet de dispositions universelles,
à titre universel ou à titre particulier. L’art. 757, seul fondement et
seule règle du droit dont il s’agit ici, ne permet pas de distinction ; en
introduire, ce serait faire la loi au lieu de l’expliquer. A la vérité,
lorsque' l’enfant naturel se trouve en présence de successibles non
réservataires et d’un légataire universel, on a pu se demander si cet
enfant, dont le droit est plus sacré aux yeux de la loi que celui du léga
taire, devait souffrir de l’existence de collatéraux moins favorables que
ce même légataire, et dépouillés de tout par lui. L’intérêt de la famille
légitime, que l’art. 757 a voulu protéger, est nul ; donc, nous de
vrions appliquer l’art. 758 et donner à l’enfant naturel la même ré
serve qu’à un enfant légitime. C’est l’opinion que Chabot (Comm. sur
la loi des success., art. 757) trouve la plus plausible; mais nous ne
saurions l’accepter, parce qu’elle s’écarte du texte de la loi et tend à créer
une graduation nouvelle dont la loi n’a pas parlé, parce que d’ailleurs,
comme l’observent Merlin, Grenier et Toullier, le légataire universel
est subrogé aux droits des collatéraux, et, d’après l’intention du tes
tateur, doit avoir tout ce qu’ils auraient eu ; et qu’enfin l’intérêt de
ces derniers n’est pas complètement anéanti, car ils peuvent critiquer
le testament, et s’ils parviennent à le faire annuler, eux seuls profite
ront de la nullité. D’ailleurs, ajoute M. Marcadé, comment admettre
qu’un père naturel qui a, par exemple, un frère légitime, puisse dis
poser des trois quarts par des legs particuliers ou à titre universel, et
de la moitié seulement par un legs universel; qu’ainsi la disposition
la plus large soit la plus restreinte dans ses effets?
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Observons en dernier lieu, avec Chabot, que la part afférente aux
légataires ou donataires ne doit jamais être abaissée au-dessous du
quart, pour ne pas contrevenir directement à la disposition de l’ar
ticle 913. Si donc le legs ou la donation n’excédait pas cette quotité,
il devrait être conservé dans son entier, et les héritiers légitimes se
raient seuls chargés de fournir la réserve de l’enfant naturel. D’autre
part, la réserve ne pouvant plus augmenter dès qu’il y a au moins
trois enfants légitimes, c’est uniquement sur leur réserve que devrait,
en pareil cas, se calculer et se prélever la portion due à l’enfant
naturel.
Nous avons énuméré toutes les personnes qui ont droit à la réserve
établie par l’art. 913. Mais l’exercice de ce droit n’est-il subordonné à
aucune condition? Suffira-t-il d’être enfant du défunt pour être réser
vataire? En outre, le quantum de la réserve devant varier avec le
nombre des ayant-droit, qui faudra-t-il compter pour le déterminer?
Poser ces questions, c’est demander en d’autres termes si la réserve
et la succession sont tellement corrélatives qu’il soit nécessaire d’ap
préhender la succession : 1° pour avoir part à la réserve; 2° pour
faire nombre dans la computation de cette même réserve. Or, un suc
cessible, aussi longtemps qu’il jouit de la vie civile, ne peut se trouver
écarté de la succession que de trois manières : ou parce qu’il est
absent, ou parce qu’il est indigne, ou parce qu’il est renonçant.
S’il est absent, les termes de l’art. 135 ne laissent place à aucune
difficulté : « Quiconque réclamera un droit échu à un individu dont
« l’existence ne sera pas reconnue , devra prouver que ledit individu
« existait quand le droit a été ouvert ; jusqu’à cette preuve, il sera dé« claré non-recevable dans sa demande. » C’est-à-dire que les cohéri
tiers de l’absent ne pourront se prévaloir de son existence pour aug
menter la réserve et recueillir la part qu’il y aurait prise, tant qu’ils
n’auront pas démontré cette existence. Mais aussi, s’il a des enfants
présents, l’art. 914leur sera applicable; ils augmenteront la réserve et
y prendront part à sa place, car d’après l’art. 136, les droits successifs
qui s’ouvrent pour l’absent peuvent être attribués à ceux qui les au
raient recueillis à son défaut.
Si le successible est indigne, nul doute que la déclaration d’indi
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gnité, l’infamie attachée à son action, ne lui enlèvent toute espèce de
droit sur les biens de son auteur ; mais doit-il être compté pour déter
miner la quotité réservée? M. Coin-Delisle (sous l’art. 913) répond
affirmativement, parce que, dit-il, ses cohéritiers en l’excluant doivent
profiter de la part qu’il laisse vacante, et qu’en thèse générale l’exis
tence de l’enfant suffit pour qu’il serve à la fixation de la réserve. Ce
dernier principe est contestable, comme nous le verrons tout-à-l’heure.
D’autre part, il ne nous paraît pas exact de dire que l’indigne est exclu
par ses cohéritiers ; ce qui l’exclut, c’est l’indignité même qu’il a en
courue, c’est le jugement prononcé contre lui. On peut soutenir, il
est vrai, que l’indignité n’est pas nécessairement déclarée par juge
ment , mais il n’en reste pas moins certain que l’exclusion est la peine
de l’indignité , rien autre chose. Si une peine ne doit frapper que le
coupable, elle ne doit, non plus, bénéficier à personne. Aussi nous pré
férons nous ranger à l’opinion de M. Delvincourt. Suivant cet auteur,
l’indigne ne doit pas faire nombre ; il n’est pas dans la nature des choses
qu’un père ait dû laisser une part de réserve à un enfant qui s’est
rendu indigne de lui succéder.
Enfin, si le successible est renonçant, nous devons nous reporter aux
principes relatifs à la renonciation. Ces principes sont écrits dans les
art. 785 et 786, ainsi conçus : « L’héritier qui renonce est censé
« n’avoir jamais été héritier. — La part du renonçant accroît à ses
« cohéritiers; s’il est seul, elle est dévolue au degré subséquent. »
Or, dans quelles mesures ces dispositions sont-elles applicables à la ma
tière de la réserve? Et d’abord pouvons-nous appliquer l’art. 785 dans
ses termes? Oui, si c’est être héritier que d’être réservataire; si au
lieu de dire avec l’ancienne jurisprudence romaine : légitima est quota
bonorum, non hereditatis, nous devons dire avec Dumoulin : non
habet légitimant, nisi qui heres est.
Nous avons déjà observé que le Code civil, dans l’art. 913, suit une
marche toute différente de celle du droit romain dans la Novelle 18.
Au lieu de retrancher la légitime de la somme des biens disponibles,
il met le disponible en dehors des biens réservés. La succession et les
héritiers existent indépendamment de tout acte de la volonté du défunt.
Il n’était pas plus en son pouvoir de détruire l’une en totalité que de
dépouiller les autres de leur titre et de leurs droits. A Rome, le testa
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ment seul faisait les véritables héritiers; il est donc bien évident,
comme nous l’avons déjà vu, que quand il existait un testament, quand
les héritiers institués n’étaient pas les légitimaires, ceux-ci ne pou
vaient réclamer la légitime comme héritiers. Chez nous, au contraire,
ce que le père ne peut retirer de sa succession sans violer la loi n’a
pas cessé légalement d’en faire partie ; c’est la succession même, réduite
à ses dernières limites. Or, nul ne peut prétendre de droits sur la suc
cession s’il n’est héritier. Tel était le système des coutumes, et M. Toullier reconnaît que tel est encore celui du Code.
Les travaux de la rédaction nous montrent les auteurs de la loi
profondément pénétrés de cette vérité. Au conseil d’État, dans la dis
cussion de l’art. 921, MM. Boulay, Réal, Muraire, Emmery, Berlier,
Portalis, en un mot presque tous ceux qui prennent la parole,
reconnaissent formellement que la légitime est une portion de l’hérédité
(M. Portalis) ; que l’enfant qui exerce l’action en demande de légitime
fait nécessairement acte d’héritier (M. Réal). Si ensuite M. Maleville
vient dire « qu’on a mal à propos supposé, dans le cours de la dis« cussion, que le légitimaire agissait nécessairement comme héritier »,
c’est qu'il est préoccupé d’un seul point de vue de la question ; qu’il
considère le légitimaire seulement dans ses rapports avec les créanciers
et les donataires. Il est certain, en effet, que ses droits à leur égard
dérivent surtout de sa qualité d’enfant : s’il était simplement héritier,
il ne pourrait ni critiquer les donations, puisqu’il aurait succédé aux
obligations du donateur; ni empêcher les créanciers de profiter de la
réduction, puisqu’il devrait, avant de rien conserver, payer les dettes
de son auteur. Voilà l’idée de M. Maleville ; mais son opinion n’est
pas que le renonçant puisse avoir droit à la réserve, puisse demander
la réduction. Car M. Réal ayant dit « pour compléter sa démons« tration, M. Maleville doit prouver que le successible qui renoncerait,
« pourrait, malgré sa renonciation, excercer son action en légitime »,
M. Maleville répond « que ce n’est-là qu’une équivoque. Sans doute,
« le légitimaire qui aurait répudié l’hérédité de son père ne serait pas
« reçu à quereller les donations... ». Un instant après, M. Treilhard
dit : « Sans examiner si le légitimaire est héritier ou créancier, il est
« sage de décider que l’action en réduction ne profitera qu’à lui seul ».
Et cependant, à la fin de la séance, le conseil décide « que les créan-
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« ciers de la succession pourront exercer leur action sur les biens que
« la succession rend au légitimaire » ; c’est-à-dire que le légitimais
sera considéré comme héritier, même à leur égard, et malgré toutes
les raisons qui devaient faire de la demande de légitime une action
dont tout le profit et tout l’intérêt seraient pour lui seul. (Fenet,
procès-verbal de la séance du 5 ventôse an XI. )
Cette conséquence, évidemment exagérée et contraire à l’ancienne
doctrine de Ricard sur ce point, fut repoussée par la section de légis
lation du Tribunat, qui reproduisit, à cette occasion , l’idée mêlée de
quelque confusion qu’avait émise M. Maleville. « Le droit à la légitime,
« dit-elle, est réclamé par l’individu comme enfant, abstraction faite
« de la qualité d’héritier, qu’il peut prendre ou non. » Mais cette idée
ne reparaît plus dans la suite des travaux et discours sur le projet. Dans
la séance du 24 germinal an XI, où M. Bigot-Préameneu rendit compte
de la conférence tenue avec le Tribunat, M. Tronchet donna à la dis
position de l’art. 921 de bien autres et de bien plus justes motifs : Où une
« disposition prohibitive, disait-il, n’est relative qu’à un intérêt parti« culier, ce serait s’écarter du but de la loi que d’en donner le bénéfice
« à une autre personne qu’à celle en faveur de qui la loi l’a établie.
« On a rendu hommage à ce principe.... dans le titre des successions,
« où on a décidé que le rapport profitait aux héritiers seulement et
« non aux créanciers. Ce serait donc se contredire que d’obliger le
« légilimaire à donner aux créanciers la portion de biens que la ré« duction lui rend ; la réduction alors serait établie au profit de ces
« créanciers. » Ce rapprochement fait par M. Tronchet en amène
naturellement un autre. Les créanciers ne peuvent profiter du rapport;
cependant il est incontestable que le rapport n’est dû qu’aux héritiers.
Les créanciers ne peuvent profiter de la réduction : on n’en saurait
conclure avec plus de raison que la réduction peut être demandée par
d’autres que les héritiers.
Dans le discours de M. Bigot-Préameneu au Corps législatif, et de
M. Jaubert au Tribunat, nous retrouvons des traces de la distinction,
très vraie et très juste au fond , entre l’héritier qui succède aux
obligations du défunt et l’enfant qui soustrait sa réserve à l’action des
créanciers ; mais cette distinction est exprimée en des termes qui ne
permettent pas de douter que les orateurs ne considèrent le réservataire
�21
Comme étant forcément héritier. « Les biens légués font partie de la
« succession, dit M. Bigot-Préameneu; les héritiers au profit desquels
« est la réserve sont saisis par la loi dès l’instant où cette succession
« est ouverte... Le créancier doit-il exercer ses droits contre l’héritier
« sur les biens recouvrés par l’effet de la réduction ? Si l’on s’attachait
« à l’idée que celui qui a le droit de réduction ne doit pas avoir de
« recours contre les donataires, à moins que les biens dont ceux-ci
« auraient été évincés ne devinssent le gage des créanciers du défunt,
« il vaudrait autant donner à ces créanciers, contre les donataires,
« une action directe, que de l’accorder aux héritiers pour que les
« créanciers en profitent ; ou plutôt alors, comme il ne s’agirait réel« lement que de l’intérêt des créanciers, on ne devrait pas faire in« tervenir les héritiers pour dépouiller les donataires au profit des
« créanciers. » Et ce mot d'héritiers revient sans cesse dans le rapport.
« Le droit d’où la réduction dérive, dit M. Jaubert, ne les concerne
« (les créanciers) en aucune manière ; il tient à une qualité qui n'a
« rien de commun avec eux. ...» Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter
aussitôt après : « A l’égard des héritiers en ligne directe, la loi prend
« les précautions les plus sages pour la conservation de la réserve;
« mais elle ne veut pas que, sous prétexte de la retrouver, les héritiers
a puissent altérer des dispositions dictées par la reconnaissance, ou
« même par les convenances. » D’ailleurs, pourquoi répéter si sou
vent et avec tant de soin que les créanciers n’ont pas d’action sur les
biens réservés, sinon parce que les orateurs sont profondément con
vaincus que le réservataire est héritier, et comme tel pourrait paraître
soumis à cette action ?
Il est donc bien certain que les auteurs du Code civil n’ont pas voulu
rompre avec les traditions de l’ancienne jurisprudence , avec Pothier qui
disait (Traité des donations entre vifs, sect. III, art. 5) : « La légitime
« n’est due qu’aux enfants habiles à succéder et qui n’ont pas été exhé« rédés pour quelque cause légitime ; » avec Domat, qui s’exprime ainsi
dans son livre des Lois civiles : « La légitime est une portion de l’hé« rédité que les lois affectent aux mêmes personnes qu’on ne peut
« priver de la qualité d’héritier, et à qui elles donnent le droit de se
« plaindre des dispositions inofficieuses. Ce qui fait que la liberté de
« disposer à leur égard a été bornée, de sorte qu’il leur reste une
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«partie de l’hérédité dont on ne puisse les priver par une dispo« sition. i) Au reste, l’étude des textes, la lecture des articles de la loi
suffiraient seules à nous convaincre de ce que nous cherchons ici à
démontrer.
S’agit-ii de la détermination et de l’attribution de la réserve, tout
concourt à nous rappeler que c’est ici une succession (art. 914) ;
qu’elle n’est recueillie que dans l’ordre où la loi appelle à succéder
(art. 915); que la loi ne fait de réserve qu’au profit d’héritiers
(art. 917) ; qu’en règle générale la quotité disponible donnée à l’un
des réservataires doit être rapportée par lui, car il vient à la succes
sion (art. 919). Il n’y a d'exception à cette règle que dans le cas de
préciput et dans le cas où les biens donnés sont de même nature que
les biens non disponibles ; alors le successible peut retenir sur ces
biens donnés « la valeur de la portion qui lui appartiendrait comme
« héritier dans les biens non disponibles ». On ne saurait, ce nous
semble, exprimer d’une manière plus formelle que la réserve n’ap
partient qu’aux héritiers ; qu’il faut être héritier pour la réclamer.
Mais le successible donataire voudrait-il, pour éviter le rapport,
renoncer à la succession ? L’art. 845 nous dit que du moins il n'é
chappera pas à la réduction ; il ne peut retenir le don entre vifs ou
réclamer le legs à lui fait que « jusqu’à concurrence de la portion dis« ponible ». S’agit-il de dispositions qui tendraient à faire passer
l’universalité des biens à des étrangers, l’art. 1904 nous fait con
naître que, nonobstant ces dispositions, il y a « des héritiers auxquels
« une quotité des biens est réservée par la loi » ; que ces héritiers sont
saisis de plein droit de tous les biens de la succession. L’art. 1006
emploie les mêmes termes.
Concluons donc, avec la plupart des auteurs, que la réserve est une
partie de la succession ; que pour être réservataire il faut être héri
tier ; que l’héritier qui renonce est réputé n’avoir jamais été réserva
taire, puisque d’après l’art. 785 il est censé n’avoir jamais été héri
tier. La Cour de cassation avait reconnu formellement ces principes dans
un arrêt longuement motivé, du 18 février 1818, qui avait fixé la
jurisprudence et déterminé M. Grenier à changer sa doctrine. L’arrêt
du 17 mai 1843 a manifesté un changement complet d’opinion. Un
arrêt plus récent, du 21 juillet 1846, inspiré par les mêmes idées,-
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s'appuie principalement sur ces deux motifs : « 1° Que si, aux termes
« de l’art. 786, la part du renonçant accroît à ses héritiers, c'est
« seulement la part du renonçant à la succession ; que les biens don« nés ne sont pas dans la succession, qu’ils ne doivent y être fictive« ment réunis que pour déterminer les parts de réserve. » Mais quoi
que cette réunion soit fictive, d’après l’art. 922, quoiqu’une succes
sion puisse exister tout entière sur le papier, l'art. 786 n’aura bien
souvent aucun sens si la renonciation à la fiction ne produit pas un
effet très sérieux, celui de priver le renonçant de tout droit à la réa
lité. « 2° Que l'enfant donataire qui renonce n’est pas tenu de subir
« la réduction d’une donation irrévocable de sa nature, pour faire
« profiter de cette réduction les héritiers de son père au-delà de leur
« part dans la réserve légale. » Mais rien n’est moins irrévocable
qu’une donation faite sans préciput ; toute donation de ce genre est
tacitement soumise à la condition du rapport, et dans tous les cas, de
la réduction. Quant à cette dernière considération, que le renonçant
n’est pas tenu de faire profiter ses cohéritiers de la réduction de son
don ou legs, il en faut reconnaître la justesse. Non, les cohéritiers du
réservataire qui renonce ne profiteront pas de sa renonciation.
Cette proposition paraît contraire à l’art. 786; mais il ne faut pas
perdre de vue le motif et le but de cet article, non plus que la nature
particulière delà succession réservée, La succession ordinaire est fixée
d’une manière invariable, quels que soient le nombre et la qualité des
héritiers du défunt; et comme aucune part n’en pouvait rester vacante,
la renonciation devait nécessairement produire ou accroissement aux
héritiers du même degré, ou dévolution à ceux du degré subséquent.
Au contraire, la succession réservée varie avec le nombre et la qualité
des héritiers qui doivent la recueillir; elle n’a pour fondement que
leur intérêt, elle est réglée en raison de l’importance de cet intérêt
même. Sous l’empire de l’ancienne coutume de Paris, la réserve, pour
chacun des enfants, était de la moitié de la part qu’il aurait eue ab
intestat; alors, évidemment, chaque héritier ayant sa réserve, sa
renonciation ne pouvait produire d’accroissement au profit des autres.
Aussi Ricard et Lebrun disaient : « Le père n’étant tenu de la légitime
« envers ses enfants qu’en proportion du nombre qu’il en a, l’action
« de ses enfants à ce sujet doit suivre la même règle, et doit cesser dû
�24
«
«
«
«
«
«
moment qu'ils tirent des biens de leur père la portion que la loi leur
destine, eu égard au nombre de frères qu’ils sont, n’ayant pas droit
de se prévaloir si les autres ne demandent pas leur part ou légitime,
attendu que chacun a son droit pour ce regard, et qu’il suffit que
le père ait satisfait les autres et les ait pourvus de sorte qu’ils aient
sujet de se contenter. »
La loi moderne est-elle conçue dans le même esprit, sinon dans les
mêmes termes, que l’ancienne coutume? On nous dit que la réserve,
d’après le Gode, doit être considérée comme une masse, non comme un
droit individuel dans chaque réservataire (M. Duranton, t. vm, n°299).
Sans doute, il est impossible de prétendre qu'aujourd’hui chacun des
enfants ait un droit de créance distinct, isolé, sur la succession réser
vée ; mais faut-il en conclure que le législateur a répudié absolument,
et sans la moindre exception, les principes de la coutume de Paris?
L’historique de la rédaction ne nous montre rien de semblable. M. BigotPréameneu, dans son premier rapport, fait au nom de la section de
législation du conseil d’État (séance du 30 nivôse an XI), déclare que
« le système de la loi parisienne a paru d’une exécution simple et fa—
« cile dans tous ses développements, et qu’on y trouve toujours une pro« portion juste dans le sort des légitimaires, eu égard à leur nombre et
« à leur degré ». A ce système, il ne fait qu’un seul reproche : c’est
de laisser une trop grande liberté au père : « Le quart des biens doit
« être suffisant pour niveler le sort des enfants, ou pour remplir, avec
« d’autres que les enfants, des devoirs de reconnaissance. » C’est pour
quoi il propose de réserver aux enfants, quel que soit leur nombre, les
trois quarts de ce qui leur reviendrait par succession. La discussion
s’engage; la coutume de Paris est fréquemment citée, commentée avec
éloge; les orateurs se contentent de critiquer l’étendue qu’elle avait
donnée à la quotité disponible ; mais tous s’arrêtent là : aucun ne songe
à écarter l’application générale des principes du droit coutumier et de
l’ancienne jurisprudence, qui devaient cependant être présents à tous
les esprits. M. Maleville dit simplement qu’il préfère les dispositions
de la coutume de Paris à celles du droit romain, et, dans une autre
séance (21 pluviôse an XI), il invoque la maxime : Non facile recedendum est ab eo jure quod diu œquum, visum est. La délibération porte
sur un seul point : la légitime sera-t-elle maintenue au taux fixé par
�2S
la coutume? Le consul Cambacérès, dont la proposition sera définiti
vement adoptée, dit « que l'on écarte avec raison les dispositions du
« droit romain en cette matière » ; mais il se garde bien d’écarter celles
de la coutume de Paris ; il propose seulement de les modifier, en gra
duant la légitime suivant le nombre des enfants.
L’art. 913 est cette modification apportée à la coutume dans l’intérêt
des enfants, et dans le seul but de restreindre la quotité disponible : il
n’est pas autre chose. M. Bigot-Préameneu le considérait certainement
ainsi, lorsqu’il disait, dans l’exposé de motifs présenté par lui au Corps
législatif, le 13 floréal : « La coutume de Paris était fondée sur un prin« cipe plus juste (que la loi du 4 germinal an VIII) lorsque, balançant
« le droit de la propriété et les devoirs de la paternité, elle avait établi
« que, dans aucun cas, il ne serait permis au père de disposer de plus
« de la moitié de ses biens. C’était une raison décisive pour partir de
« ce point, en restreignant ensuite cette liberté dans la proportion
« qu’exigerait le nombre des enfants. »
Si les principes de la coutume étaient le point de départ de nos légis
lateurs, n’est-il pas évident qu’ils continuent à régir tout ce qui n’a pas
été formellement enlevé à leur empire? Ainsi donc, une seule chose a
changé : c’est la quotité disponible, devenue variable au lieu d’être
fixée d’une manière uniforme; mais les mêmes conditions règlent l’at
tribution de la réserve : il faut être héritier pour y prendre part; on ne
compte que les héritiers pour la déterminer.
D’ailleurs, que nous dit le texte du Code? Que les libéralités ne pour
ront dépasser certaines limites, suivant que le disposant laissera, à son
décès, un, deux, trois enfants. Or, en matière de succession, laisser tel
parent signifie toujours : avoir ce parent pour héritier. Voyez les art.
746, 748, 749, 750, 757, 758, qui, traitant de manières très diverses
de succéder, se servent tous du mot laisser dans ce sens relatif (Marcadé,
art. 913-914, n° v). Si, sur trois enfants laissés par le défunt, il se
trouve un renonçant, le disposant ne laisse, quant à sa succession, que
deux enfants. En effet, d’après l’art. 765, le renonçant est censé n’a
voir jamais été héritier. M. Coin-Delisle (art. 915, n° ii) dit que la
réserve, passant par dévolution des descendants aux ascendants, sera
fixée par l’art. 915, et non par l’art. 913 ; car, ajoute-t-il, « par la
« force de la renonciation, l’ascendant s’est trouvé saisi, dès l’ouverture
�26
« de la succession, du droit de réserve tel qu’il a été établi relative*
« meut à lui, et jamais de celui fixé relativement à ses ascendants, qui
« n’ont pu transmettre leur qualité; » et rien n’est plus vrai. Mais
n’est-il pas également incontestable, n’est-ce pas une suite du même
principe, que, par la force de la renonciation de l’un des trois enfants
réservataires, les deux autres se sont trouvés saisis, dès l’ouverture de
la succession, du droit de réserve tel qu’il a été établi relativement à
eux, c’est-à-dire d’un droit de réserve des deux tiers au lieu des trois
quarts? Pourquoi ne pas accepter également toutes les conséquences de
Part. 785?
Donc, répétons-le, l’art. 786 n’est applicable à la succession réservée
que dans les limites et avec les modifications marquées par la nature
et la destination spéciale de celte succession. Tout le monde convient
que la dévolution ne s’y opère pas comme dans la succession ordinaire,
ou plutôt qu’il n’y a pas de véritable dévolution; car ce n’est pas la
réserve des descendants qui passe aux ascendants par l’effet de la re
nonciation des premiers, c’est une nouvelle réserve, fixée d’une manière
différente. Il n’y a pas non plus véritable accroissement, il y a une
simple augmentation de part, quand, sur trois enfants, l’un venant à
renoncer, la réserve se trouve fixée comme si les réservataires n’avaient
jamais été que deux. (Voyez, sur ce qui précède, Lagrange, Dissertat.
sur la renonciat. et la réserve, dans la Revue de droit franç. et étrang.,
par Fœlix, année 1844.)
Ajoutons une dernière réflexion. Dans la discussion du titre des do
nations, et en particulier du chapitre de la réduction, le principe qui
reparaît sans cesse, que tous les orateurs prennent plaisir à proclamer,
alors même qu’il s’agit d’en restreindre les effets, c’est le respect du
droit de disposer, prérogative éminente de la propriété. Tous répètent
que « nul objet ne pourrait exciter un plus grand intérêt chez les ci« toyens (M. Jaubert) » ; que rien ne captive davantage les affections
de l’homme, et que l’indépendance lui est surtout précieuse dans l’exercice de ce droit (M. Bigot-Préameneu). Nous devons donc croire que
les restrictions apportées par eux à cette faculté, si digne des ménage
ments du législateur, ont été les plus faibles qu’il fût possible de con
cilier avec l’intérêt des enfants et les devoirs de famille. S’il en est ainsi,
pourquoi rechercher dans les termes de la loi le sens le plus rigoureux
■
�27
et, il faut l’avouer, le moins naturel? Pourquoi ne pas donner à la li
berté tout ce qu’indique le bon sens, tout ce que les circonstances per
mettent? L’art. 913 exige-t-il, et ses rédacteurs ont-ils pu vouloir que
des légataires, des donataires soient dépouillés des marques de la bien
veillance du défunt, en considération d’un successible qui répudie le
bénéfice de la loi, et dans le seul but de procurer aux héritiers restants
un profit sur lequel ils n’ont jamais dû compter?
§ III. — Réserve
des ascendants.
I. Quelle est cette réserve. -—Le droit romain avait d’abord fixé la
légitime des ascendants, comme toute espèce de légitime, au quart de
la portion que les légitimaires auraient eue ab intestat, quel que fût
du reste leur nombre. La Novelle 18 l’ayant portée au tiers, s’ils
étaient quatre ou moins; à la moitié, s’ils étaient plus de quatre; celle
des ascendants se trouva être le plus ordinairement du tiers; car il n’y
avait pas de partage en deux lignes, et l’on ne pouvait que bien rare
ment compter plus de quatre ascendants au degré le plus proche. Il
est à remarquer que depuis la Novelle la légitime n’était plus basée sur la
portion héréditaire, mais sur la masse de la succession : tertiam tolius
substantiœ partem : d’où résultait celte conséquence singulière, que la
légitime des ascendants pouvait dépasser de beaucoup la part qu’ils au
raient prise ab intestat. Si, par exemple, le défunt, laissant sept frères
et son père, avait testé au profit d’un étranger, le père n’aurait eu droit
qu’à un huitième sur la succession ab intestat ; et cependant sa légitime
était du tiers. Cette anomalie avait divisé les auteurs. Barthole soute
nait que, malgré la Novelle, la légitime devait toujours être considérée
comme une fraction de la part héréditaire ; Balde, au contraire, s’en
tenait rigoureusement au texte de la loi. Domat fit voir que la règle,
juste en soi, n’avait pas d’inconvénient : « Car, dit-il, si un fils a insti« tué un héritier étranger, sans laisser la légitime à son père, les frères
« même auraient intérêt qu’elle fût d’un tiers, puisque ce serait un
« bien qui devrait leur revenir. Que si les frères étaient institués avec
« le père ou la mère, mais inégalement, de Sorte que le père ou la
« mère eût moins que quelqu’un des frères, il ne serait pas juste, et il
« y aurait de la dureté, de la part des frères, à réduire leur père ou
�28
leur mère au tiers de la portion que chacun d'eux aurait eue ab in« testât. » (V. Grenier, Traité des donat.)
Nous avons déjà observé que la plupart des coutumes n’avaient pas
établi de légitime pour les ascendants. Le droit intermédiaire resta, de
môme, à peu près muet sur ce point. Dans les délibérations du conseil
d’État, le principe de cette réserve fut adopté sans discussion. L’aboli
tion du système qui divisait les biens en propres et acquêts rendait né
cessaire une disposition spéciale ayant pour but de sanctionner le
devoir des enfants envers leurs parents. On revenait à l’ancienne
maxime : Quemadmodum apatribus, liberis, ita a liberis, patribus
deberi legitimam.
Cette réserve fut, dès l’origine du projet, de la moitié des biens : un
quart pour chaque ligne. La section du Tribunat avait proposé un
sixième seulement pour chaque ligne ; mais, dans la rédaction défini
tive du conseil d’État, nous retrouvons de nouveau l’indication d’un
quart. Il s’agit, bien entendu, du quart de tous les biens, non pas,
comme l’ont pensé Delvincourt et Levasseur, du quart de la portion
que chaque ascendant aurait eue ab intestat. L’art. 915 est formel, et
la section de législation du Tribunat disait de même : les quatre sixièmes
des biens.
L’art. 904 donne lieu de modifier la réserve des ascendants comme
celle des descendants. La quotité disponible dans les cas ordinaires
étant réduite de moitié par suite de l’incapacité du mineur, il en ré
sulte, qu’en présence d’ascendants des deux lignes, le mineur ne pourra
disposer que du quart, au lieu de la moitié; il ne pourra disposer que des
trois huitièmes et non des trois quarts, s’il y a des ascendants seule
ment dans une ligne. Cette quotité ne changera pas, alors même qu’il
y aurait des héritiers collatéraux ; car, avec des collatéraux seuls, il
aurait pu disposer de la moitié dans tous les cas. Mais une double hy
pothèse a suscité quelque difficulté dans la doctrine. Comment exécuter
le testament du mineur, contenant legs de tout le disponible, 1° lors
qu’un ascendant est en concours avec les collatéraux, 2° lorsque ce
legs est fait à l’ascendant réservataire lui-même?
1° Pour répondre à la première question, il suffit de se rappeler
que la règle de l’art. 904 est établie en considération de l’incapacité du
mineur, nullement en considération de ses héritiers, qui, à la vérité,
�29
en profiteront indirectement, mais qui pourront quelquefois n’en pas
profiter. Il faut observer aussi que d’après l’art. 915, la nécessité de
fournir aux ascendants leur réserve complète fait fléchir le principe du
partage tel qu’il est organisé au titre des successions.
Cela posé, soit une succession de 32,000 fr., laissée par le mineur;
soient un légataire universel, et pour héritiers un père et des collaté
raux ordinaires de la ligne maternelle. La réserve du père est invaria
blement du quart ; dès que cette réserve est complète, par suite du
partage ordinaire, il n’a rien de plus à réclamer, car l’art. 904, con
sidéré en général, n’a qu’un seul effet, c’est de ramener toujours une
partie des biens laissés par le mineur à l’état de succession ab intestat,
et d'en soumettre la répartition aux règles générales sur ces successions.
Le mineur n’a pu disposer que de la moitié des trois quarts, ou trois
huitièmes, soit 12,000 fr. Restent 20,000 fr. à partager entre le père et
les collatéraux. Ici le partage égal n’entame pas la réserve du père. Mais
si au lieu de collatéraux ordinaires nous avions des frères ou sœurs,
qui, d’après l’art. 749, devraient prendre les trois quarts de la masse
indisponible, alors le père, en vertu de l’art. 915, prélèverait sa ré
serve de 8,000 fr., pour ne laisser aux frères que le restant, ou
12,000 fr.
Cette décision est confirmée par un arrêt de la cour d’Angers, du
16 juin 1825 ; etM. Grenier, qui avait d’abord enseigné que la moitié
disponible pour le mineur devait se calculer séparément vis-à-vis de
chacun des héritiers, en considérant quelle fraction de biens le mineur
aurait pu enlever à chacun s’il eût été majeur, M. Grenier, disonsnous, a abandonné lui-même cette doctrine.
2° Si l’ascendant réservataire, le père, par exemple, se trouve en
même temps légataire universel, la quotité dont le mineur a pu dispo
ser ne saurait être calculée de la même manière. En effet, le droit de
réserve appartient au père seul, et l’esprit de l’art. 916 veut certaine
ment qu’il ne puisse profiter à des héritiers non réservataires. Nous ne
dirons donc pas : la succession étant de 32,000 fr., la réserve du père
d’un quart, ou 8,000 fr., le mineur a pu disposer de la moitié des trois
quarts, ou 12,000 fr. Nous dirons : le père abandonne son droit à la
réserve pour se considérer uniquement comme légataire. Donc le mineur
a pu disposer de moitié ; et pour l’autre moitié, le père viendra par
�il
30
droit héréditaire, concourir avec les collatéraux. La cour de Bourges
a jugé dans ce sens le 28 janvier 1831, « se fondant, dit l’arrêt, sur
« ce que les collatéraux ne peuvent, pour diminuer la quotité dispo« nible, se prévaloir du droit de réserve qui appartient au père ».
Si les héritiers réservataires renoncent, la renonciation met les
choses au même point que s'ils n’avaient jamais été ni héritiers, ni
réservataires (art. 785). Donc on ne doit tenir nul compte de leur
réserve pour déterminer la quotité dont le mineur a pu disposer : elle
sera de moitié: car, étant majeur, il aurait pu disposer de tout. En vain
on objecterait que l’art. 904 est une règle de capacité; que la capacité
ne peut changer après la mort (M. Coin-Delisle, art. 915, n° 15). Sans
doute, l’art. 904 est une règle de capacité: mais cette capacité se me
sure sur le disponible, elle s’étend ou se restreint selon que le disponible
s’élève ou diminue. Au reste, l’art. 904 nous indique par ses termes
mêmes comment nous devons poser la question dans toutes les hypo
thèses possibles. Quel eût été, en pareil cas, le droit d’un majeur?
Dans quelles limites aurait-on pu exécuter les dispositions testamen
taires? Ce droit et ce disponible, une fois connus, doivent être réduits
à moitié pour le mineur.
Lorsque les père et mère du mineur sont en concours avec des col
latéraux, ils ajoutent à leur part l’usufruit du tiers de la portion à
laquelle ils ne succèdent pas en propriété, conformément à l’art. 754.
Ces mots indiquent suffisamment que cet usufruit ne fait pas partie
de leur réserve et ne leur est pas dû par les légataires ou donataires.
Il est à la charge des collatéraux seulement, qui le fourniront sur leur
part, en vertu des règles ordinaires, et parce que, comme nous l’avons
dit après l’arrêt précité de Besançon, la moitié des biens laissés par le
mineur forme une succession ab intestat.
II Qui a droit à cette réserve. — Le droit romain accorda la plainte
d’inofficiosité à tous les ascendants, et plus tard la Novelle 18, en éta
blissant une légitime en leur faveur, ne tint compte que de leur nom
bre, sans s’occuper de la distinction des deux lignes, introduite posté
rieurement dans les successions ab intestat par la Novelle 118. Le Code
civil l’a soigneusement conservée. La règle qu’il a posée peut se for
muler ainsi : chaque ligne d’ascendants venant à la succession a droit
�31
à une réserve du quart des biens. Nous disons venant à la succession :
c’est la condition indispensable pour prendre part à la succession
réservée. Il suit de là qu’en présence de frères ou sœurs, ou descen
dants d’eux, venant à la succession, les ascendants autres que les père
et mère n’auront pas de réserve.
Mais, dira-t-on, dans le cas d’un legs universel, les frères ou sœurs
n’ayant aucun intérêt dans la succession s’entendront frauduleusement
avec les ascendants pour renoncer et arriver ainsi à une réduction dont
le profit se partagera entre eux (M. Maleville). Sans doute, c’est là
un inconvénient : mais l’abus qu’on peut faire de la loi n’est pas une
raison de méconnaître la loi. Or, l’art. 915 dit expressément : « Les
« biens réservés au profit des ascendants seront par eux recueillis
« dans l’ordre où la loi les appelle à succéder... » Ces mots ne sont
pas uniquement relatifs aux ascendants considérés entre eux, et non
vis-à-vis des autres classes d’héritiers. S’il ne s’agissait que de l’attri
bution de la réserve aux ascendants les plus proches de chaque ligne,
c'est de degré, et non pas d'ordre que l’art. 915 aurait dû parler. La
signification du mot ordre est nettement déterminée par les dispositions
du titre des successions. Au surplus, les paroles déjà citées du rapport
de M. Jaubert au Tribunal nous paraissent décisives : « S’il s’agissait
« de l’aïeul et qu’il y eût des frères et sœurs..., dans ce cas, tout serait
« disponible. » Il y a, sans contredit, quelque chose de bizarre dans
une loi qui préfère les frères et sœurs aux ascendants pour la succes
sion ordinaire, et accorde à ceux-ci un privilège exclusif quand il
s’agit de la réserve, sans leur assigner un rang plus favorable ; mais
du moins, observe M. Coin-Delisle (art. 918, n° 5), les ascendants ne
demeurent pas sans secours, puisqu’il leur reste leurs autres descen
dants frères du défunt, auxquels ils peuvent demander des aliments, et
qui leur doivent une réserve dans leur propre succession.
Mais si les ascendants n’ont aucun droit quand ils sont primés dans
l’ordre successoral par d’autres héritiers, le concours avec des héritiers
placés au même rang ne peut jamais avoir pour effet de diminuer leur
réserve. La dernière partie de l’art. 915, ajoutée sur les remarques de
la section de législation du Tribunat, manifeste l’intention très for
melle de la loi à cet égard : « Ils auront seuls droit à cette réserve
« dans tous les cas où un partage en concurrence avec des collatéraux
�32
« ne leur donnerait pas la quotité de biens à laquelle elle est fixée. »
Ainsi, la réduction des libéralités n’aura pas lieu si les ascendants
trouvent leur réserve complète dans la portion de biens dont le défunt
n’a pas disposé, quelle que soit, d’ailleurs, la part qui reste pour les
collatéraux, et alors même que cette part serait réduite à rien. Du
moment que les ascendants viennent à la succession, et par suite à la
réserve, cette réserve et ce droit de réduction établis pour eux seuls ne
doivent profiter à nul autre, comme nous le savons déjà.
Nous avons parlé jusqu’ici des ascendants légitimes, les seuls, sui
vant l’opinion commune, qui soient compris dans les termes des
art. 915 et 916. C’est en matière de filiation légitime seulement que
l’on peut parler, comme le fait l’art. 915, de la division en deux lignes ;
et quand l’art. 916 dit : « à défaut d’ascendants et de descendants, les
libéralités pourront épuiser la totalité des biens, » il se réfère évidem
ment à l’art. 913, qui s’occupe des enfants légitimes, à l’art. 915 qui
ne peut s’appliquer qu’aux ascendants légitimes.
Mais nous avons déjà vu que la parenté n’est pas toujours à la fois
naturelle et civile; elle peut être ou purement civile, ou purement
naturelle. La parenté civile est celle qui naît de l’adoption. Le père
adoptant a-t-il une réserve sur les biens de l’adopté? Personne ne l'a
prétendu. Il n’a pas reçu de la loi les droits de succession qui sont
attribués au père légitime; bien loin de là, l’art. 351 nous dit : « Si
« l’adopté meurt sans descendants légitimes, les choses données par l’a« doptant, ou recueillis dans sa succession, et qui existeront en nature
« lors du décès de l’adopté, retourneront à l’adoptant ou à ses descen« dants. » L’adoptant n’a donc qu’un droit de réversion sur les choses
données par lui, et que l’adopté n’a ni dénaturées, ni fait sortir de sa
succession par une disposition quelconque. Dire qu’il n’a pas de droit
sur les choses dont l’adopté a disposé, c’est dire, en d’autres termes,
qu’il n’a pas de droit à la réduction, pas de réserve.
La parenté simplement naturelle a aussi ses effets légaux et confère
des droits, parmi lesquels se trouve un droit de succéder, établi sans
restriction ni limitation. « La succession de l’enfant naturel, dit
« l’art. 768, est dévolue au père ou à la mère qui l’a reconnu; ou
« par moitié à tous les deux, s’il a été reconnu par l’un et par l’autre.»
Cette attribution de la succession entraîne t-elle comme conséquence
�33
l’existence d'une réserve? Les auteurs sont partagés. Ceux qui refu
sent la réserve aux père et mère naturels disent : « 1° que la succes« sion qui leur est déférée est une succession ab intestat, qui n’a lieu,
« conséquemment, qu’à défaut de dispositions ; 2° que, d’ailleurs, les
« père et mère de l’enfant naturel ne sont mis, nulle part, au nombre
« des héritiers auxquels la loi accorde une réserve » (Chabot, art. 765,
n° 5). En effet, les art. 913-916 s’occupent exclusivement et en termes
très explicites d’héritiers qui sont en même temps parents légitimes
du défunt (Marcadé, art. 915, n° 3); 3° que reconnaître l’existence
d'une réserve en faveur des père et mère naturels, ce serait introduire
dans la loi une inconséquence choquante; car, à défaut de disposi
tion analogue à l’art 757, leur droit serait aussi étendu que celui des
père et mère légitimes, tandis que leurs enfants, innocents de leur
faute, en seraient seuls punis, et auraient seuls à souffrir de la défa
veur qui s’attache à la filiation naturelle (M. Malpel, n° 167).
Cependant, nous croyons que les mêmes motifs qui ont porté la doc
trine et la jurisprudence à déclarer l’enfant naturel investi, aussi bien
que l’enfant légitime, du droit à la réduction, doivent nous conduire à
reconnaître l’existence d’un droit semblable au profit du père naturel,
et que la logique commande impérieusement ou de le refuser à tous
les deux, ou de l’accorder à l’un et à l’autre.
Sur quoi se fondait l’opinion la plus favorable à l’enfant naturel,
opinion qui a prévalu? Elle disait que le droit de l’enfant naturel a
pour type le droit de l’enfant légitime, et en diffère non par la nature,
mais par l’étendue; et elle le disait en présence de l’art. 756, qui
porte : « les enfants naturels ne sont point héritiers; » en présence de
l’art. 757, qui entoure d’une faveur marquée la parenté légitime, et
ne permet jamais que l’enfant naturel puisse exclure même les colla
téraux les plus éloignés ; elle le disait enfin, sans s’arrêter à cette con
sidération , que toutes les dispositions relatives aux droits de l’enfant
naturel sont placées au titre des successions ab intestat, où l’on ne
s’occupe nullement du cas de dispositions entre vifs ou testamentaires
faites par le défunt. Or, pourquoi ne devrait-on pas dire aussi : le
droit du père naturel est de même essence, de même nature que le
droit du père légitime? Il semble que les termes de la loi appellent
cette conclusion d’une manière encore plus évidente; car les art. 723,
�34
756, 757, 758 se gardent bien de nous parler de succession dévolue à
l’enfant naturel; ils nous répètent que les biens passent à l’enfant na
turel, que l’enfant naturel n’a de droit que sur les biens. L’art. 765,
au contraire, proclame nettement que le droit du père naturel est un
droit de succession, apparemment de la même puissance, de la même
énergie que celui du père légitime, qui est aussi un droit de succes
sion, et ne peut pas être autre chose. A la vérité, la réserve accordée
à l’enfant naturel sera limitée par l’art. 757 ; celle du père naturel res
tera telle que l’établit l’art. 915. Mais l’art. 757 apporte des restric
tions aux droits de l’enfant naturel, parce que celui-ci se trouve en
présence de la parenté légitime ; c’est uniquement par faveur pour
cette parenté. Il n’y avait donc pas de raison de réduire les droits du
père naturel, qui est seul, et dont les prétentions ne peuvent nuire à
personne, si ce n’est à des étrangers. La faute du père, dit-on encore,
ne sera donc punie que dans son enfant, qui n’en est pas coupable.
Mais en l’absence de parents d’aucune espèce, qui trouvera-t-on de
plus digne de faveur que le père de l’enfant naturel ? La réserve de ce
dernier n’est-elle pas égale à celle de l’enfant légitime dans le cas de
l’art. 758, c’est-à-dire quand il n’existe pas de parents au degré suc
cessible? Et M. Chabot (de l’Ailier) lui-même disait, dans son rapport
au Tribunat sur le titre des successions : « Les père et mère de l’enfant
« naturel, en le reconnaissant, ont rempli les devoirs de la nature et
« doivent jouir de tous les droits de la paternité... »
Au surplus, si l’une des deux opinions peut invoquer l’autorité de
la jurisprudence , c’est surtout celle que nous défendons ici. Deux
arrêts, l’un de Nîmes, du 11 juillet 1827, l’autre de Douai, du 5 dé
cembre 1840, ont jugé la négative; mais deux arrêts de Bordeaux,
des 24 avril 1834 et 20 mars 1837, un arrêt de Paris du 14 mars
1845, et enfin un arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 1846, re
jetant le pourvoi formé contre ce dernier, ont décidé en sens con
traire. Le rapport de M. Mesnard, sur lequel fut rendu l’arrêt de
rejet, disait : « Quand pour la première fois la question s’est élevée
« de savoir si la quotité de biens assignée aux enfants naturels, dans
« la succession de leurs père et mère, formait à leur profit une réserve
« qui ne pouvait être utilement entamée, on conçoit qu’en même
« temps et presqu'à l’aide des mêmes textes se pouvait débattre
�35
« comme parallèlement la question de savoir si les père et mère de
« l’enfant naturel avaient une réserve dans la succession de ce dernier.
« Mais depuis que la première de ces questions a reçu de la jurispru« dence une solution assez affirmative pour que désormais elle échappe
« à toute controverse, ne semble-t-il pas que le sort de la seconde se
« trouve également fixé ? L’analogie est en effet des plus frappantes,
« et le besoin de la réciprocité se justifie par tant de bonnes raisons,
« qu’il paraît difficile de ne pas lui donner satisfaction. .. » Et plus
loin : « Ne pourrait-on pas dire que la condition des père et mère
« naturels est peut-être plus favorable que celle de l’enfant naturel?
« Celui-ci, en demandant la quotité de biens qui lui est réservée, se
« trouve en concours avec des parents, des héritiers légitimes. Né hors
« mariage et d’une union réprouvée, il a à lutter contre des coparta« geants que protège le respect dû au mariage et à la légitimité, et
« cependant sa réserve lui est assurée. Pourquoi n’en serait-il pas de
« même pour les père et mère qui, venant à la succession de leur en« fant naturel, n’ont pas à redouter la périlleuse concurrence d’une
« parenté légitime, et n’ont droit à rien qu’autant que leur enfant est
« décédé sans postérité ? » Et la Cour, dans son arrêt, sur les conclu
sions conformes de M. l’avocat général Delapalme, n’hésite pas à faire
dériver de la combinaison des art. 765 et 915 l’existence du droit de
réserve dont il s’agit.
À l’égard des conditions auxquelles est subordonné l’exercice du
droit de réserve pour toute espèce d’ascendants, peu de mots suffiront.
Nous n’avons pas à revenir sur les effets de l’absence en cette matière ;
seulement, nous devons tirer la conséquence de ce principe, que la
représentation n’a pas lieu en faveur des ascendants (art. 745.) Si de
deux ascendants de la même ligne et du même degré, l’un est absent,
sa part dans la réserve ne pourra être dévolue à ses père et mère ou à
ses aïeul et aïeule qui seraient présents ; elle accroîtra, suivant les
règles ordinaires, à la part de l’ascendant qui aurait dû concourir avec
lui. Si tous les ascendants du même degré sont absents, alors seule
ment il y aura dévolution au degré supérieur. Mais l’absence de tous
les ascendants d’une ligne ne produira jamais accroissement, au profit
de l’autre ligne, puisque leur existence n’étant pas prouvée , il est vrai
�36
de dire que le défunt ne laisse pas d’ascendants dans les deux lignes
(Cf. 135/915).
Dans le cas d’indignité, dans le cas de renonciation, les mêmes
effets auront lieu : accroissement de parts dans la même ligne, jamais
d’une ligne à l’autre, nonobstant art. 755; dévolution de degré à
degré, mais non pas d’ordre à ordre, puisqu’un seul ordre d’héritiers
a droit à la réserve telle que l’établit l’art. 915. En un mol, nous ap
pliquons l’art. 786, parce que les termes de l’art. 915 nous reportent
aux règles générales sur les successions ; mais nous l’appliquons dans
la mesure et avec les restrictions indiquées par la nature particulière
de la succession réservée. II reste toujours incontestable que cette
succession a ses règles spéciales, dérivant du but qu’elle doit atteindre
et de la destination que lui a marquée le législateur ; que la renoncia
tion n’y produit pas tous ses effets ordinaires, mais seulement le plus
général de tous, qui est de rendre le sort de la succession, la réparti
tion de la masse héréditaire, absolument indépendants de l’existence
du renonçant.
�37
PROPOSITIONS.
DROIT ROMAIN.
I. La plainte d’inofficiosité est une pétition d’hérédité.
II. Dans les nomina transcriptitia, l’inscription sur les registres ou
tabulai du créancier est seule nécessaire pour l’existence de l’obliga
tion : l’inscription sur les registres du débiteur n’est requise que pour
la preuve.
III. Le mandataire est tenu de toute faute.
IV. L 'erreur de droit ne donne pas lieu à la condictio indebiti.
V. L’édit Salvien se distingue de l’action Servienne par son utilité
spéciale; il constitue une voie d’action purement possessoire.
DROIT CIVIL FRANÇAIS.
SUR LA THÈSE.
I. Les enfants adoptifs peuvent exercer leur droit de réserve même
sur les donations antérieures à l’adoption.
IL La présence de parents légitimes du défunt a toujours pour
effet de restreindre la réserve de l’enfant naturel, encore bien qu’il y
ait un légataire universel.
III. L’héritier renonçant n’a pas droit à la réserve.
IV. L’héritier renonçant ne fait pas nombre pour la computation
de la réserve.
V. La quotité disponible pour le mineur parvenu à l’âge de seize
ans doit se calculer eu égard à la masse totale de sa succession, et non
vis à vis de chacun des héritiers : en telle sorte que ses ascendants
peuvent se trouver réduits à leur réserve ordinaire.
VI. Si les héritiers réservataires renoncent, le mineur aura pu dis
poser de moitié dans tous les cas.
VII. Le père naturel a droit à une réserve.
�38
EN DEHORS DE LA THÈSE.
VIII. Dans une disposition de biens faite au profit d’un enfant mi
neur, la condition que le survivant des père et mère n’en aura pas
l’usufruit doit obtenir son entier effet, alors même que l’enfant est
héritier réservataire du disposant.
IX. La réserve des ascendants est indépendante de la succession
extraordinaire établie par l’art. 747.
X. Entre époux, la quotité disponible réglée par l’art. 1094 est
spéciale et exclusive de la quotité disponible ordinaire.
DROIT CRIMINEL.
I. Le duel n'est pas puni par la loi.
IL La Cour d’assises, jugeant par contumace, peut tenir compte
de circonstances atténuantes.
III. Le jury est seul compétent pour connaître des infractions à la
loi du 16 juillet 1850, sur la signature obligatoire.
DROIT PUBLIC.
I. L’Etat n’a pas d’indemnité à fournir à ses nationaux, à raison
des dommages causés par l’ennemi durant la guerre.
IL Le refus de sépulture ecclésiastique ne constitue pas par lui seul,
aujourd’hui surtout, un cas d’abus justiciable du conseil d’État.
Vu et approuvé,
Le 21 mars 1851.
Le doyen de la Faculté de droit,
C. A. PELLAT.
Le Recteur de l’Académie de la Seine,
CAYX.
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Livres imprimés
Texte imprimé
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Thèse pour le doctorat
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
FRB243226101_PZ-404.pdf
ark:/30098/4p
Type
The nature or genre of the resource
text
texte imprimé
Subject
The topic of the resource
Thèse
Droit
Succession
Description
An account of the resource
brochure
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
1851
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Condaminas, Charles
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Vinchon, fils et successeur de Mme Ve Ballard. Paris
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1851
Temporal Coverage
Temporal characteristics of the resource.
18..
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
23 cm
Extent
The size or duration of the resource.
1 vol. (38 p.)
Medium
The material or physical carrier of the resource.
papier
Rights Holder
A person or organization owning or managing rights over the resource.
Médiathèque Pierre Fanlac.
Rights
Information about rights held in and over the resource
Licence Ouverte 2.0
Source
A related resource from which the described resource is derived
Périgueux, Médiathèque Pierre Fanlac. PZ 404
Droit
Thèse